L’enregistrement photographique est un fait dur, précis, sans bavure : une chose particulière est saisie en un instant particulier, qui ne reviendra jamais. Rien avant, rien après. Le fait dans sa nudité, d’avant toute interprétation, d’avant la pensée.
Mais justement, parcequ’il s’agit, à chaque fois, du cas unique d’un pur apparaître, notre regard et notre esprit restent là fascinés. Cette image photographique, certes, n’est pas totalement innocente : elle est le résultat d’un choix fait par un auteur, le choix d’un angle, d’une lumière, d’une distance. Mais tous ces choix ne peuvent effacer la présence de quelque chose qui se passe bien de nous et de nos opinions.
La réalité crue est-elle rassurante ou angoissante ? L’esprit se met en battement entre les deux, sans fin. Disons qu’elle est, en tous les cas, inquiétante.
Et l’étrange qualité propre à la photographie est que, de l’évidence de ce noyau impénétrable, rayonne une magie sans fin, une immensité de questionnements rêveurs.
Ainsi l’œuvre de Aurore de Sousa concerne le cœur même de la photographie. Des objets qui sont quotidiennement balayés par nos regards distraits ; des ombres et des reflets qui passent, non par leur mouvement propre, mais par les mouvements errants de nos yeux. Aurore de Sousa, paradoxalement, s’appuie sur ces dérives de l’attention pour les faire émerger à notre pleine conscience visuelle. Par la photo elle donne corps et objectivité aux imprécisions du quotidien. Par cette tension le temps se creuse, et le passé remonte. Un au-delà affleure. Nous apprenons que le monde n’est pas seulement là, prosaïque, sec et dur, mais qu’il tremble de toute sa profondeur. Et que ce n’est finalement pas le cours réel mais la poésie qui est la plus grande vérité des choses.
Jean-Claude Lemagny
Historien, ancien conservateur au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France, Paris.