Pour l'ombre nue

Habituellement happée par des images frontales ou fulgurantes, traquée par un tourbillon de sollicitations, note attention, face aux photographies de Aurore de Sousa, se trouve captée de manière oblique, incidente. Nulle évidence ne saute aux yeux devant ces bribes de miroirs posées dans l’herbe noire, ces portraits fuyants, ces clichés enchâssés dans l’image même et que frôle un doigt de lumière, ce visage dont les traits béants se dissolvent entre ses contours, ce corps nu debout derrière une vitre opaque et fissurée.

Le temps ici suspendu n’est pas celui d’un saisissement, d’un battement de paupières : l’apparence laisse entrevoir des profondeurs plus ou moins troubles, la mise au point crée un jeu de distances et de rapprochements, des écarts de niveau et de perception dans la simultanéité des plans. Le temps, ici excède celui fixé par l’image.

La mise au net, par les zones qu’elle laisse dans l’indistinct, met en abîme la durée, ses failles, ses interruptions et ses reprises : l’instant du déclic est déjà chargé d’une mémoire, hanté d’une antériorité, qu’interrogent les éléments disposés comme pour lancer une fiction – ou une autofiction, chacun d’eux étant introduit comme un indice biographique. Mais la narration reste flottante, retenue, en instance, comme si elle n’avait jamais fini d’apparaître pleinement dans le bain de la révélation. Quelque chose semble appeler, implorer même, à travers ces images, mais rien n’est révélé de l’énigme du temps.

Il faut entrer dans ces photographies par une manière de toucher du regard. La buée soufflée sur la face du miroir, le grain des pénombres, l’opacité charnelle, le halo aveugle des encadrements, les murs écorchés, les cheveux, les écorces, et jusqu’à l’angélique duvet d’une plume, tout est suggestion de matière tactile. Toute présence ne demeure cependant qu’entrevue, impalpable, rien n’est saisissable. Et c’est par ces tremblés d’ombre nue, à travers ces vues au bord de l’évanouissement, que poursuit la patiente interrogation de son rapport au monde celle dont le prénom dit la lumière naissante.

Jean-Pierre Chambon