Pour Aurore de Sousa
Dormantes qui prennent élan dans le sommeil ! Les mains reposent, posent sur ce qui les porte : le sol, la terre. Elles prennent appui, elles prennent repos. Nos mains se posent sur le drap de la terre. Notre immobilité est piégeuse, puisque la pensée voyage à toute allure, sans même que nos yeux cillent. Nous tombons, immobiles, dans le puits noir de ce que le temps ne nous donne pas. Nous ne savons rien des existences accomplies, de cette perfection sinistre, fatale, que la mort accorde à la vie. Notre peau est couverte de mots, de phrases sèches, de bruissement que nous n’entendons pas. Des voix, du vent, le secouement des branches… Le froissement des herbes frôle le duvet de la main ; ce n’est pas même une caresse : le mot « effleurement » qui nous effleure l’esprit. Nous n’entendons rien du soleil qui frappe le sol, de l’olivier qui s’arrime à la terre comme une main qui repose sur le tapis des songes. Nous tressaillons à la pensée de tout ce que nous ne savons pas de ceux qui nous ont précédés. Cette révélation nous trouble, nous éveille, nous précipite éveillés dans le noir du temps. Ourlet des draps, drapé des arbres, dentelles belle d’un paysage que nous ne reconnaissons pas… Les arbres bruissent, nous savons qu’ils bruissent, nous ne les entendons pas. Les mots se tiennent tout près, sur le bord, à l’orée ; nous imaginons leur tumulte, leur piétinement – nous imaginons leur image. Nous prêtons l’oreille, le silence sonne. Les mots : muets ! Nous n’entendons rien de ce qu’ils ne diront pas. Les mains sont sur l’image des mots. Les mains sont sur l’image, comme les mots sont sur le bout de la langue. L’humus noir d’où sortent les mains blanches : le surgissement de ces mains, que l’émotion atterre, que le couloir noir du temps traverse, ces mains qui tiennent sur l’image, que l’image révèle, que les images franchissent, affranchissent de leurs égratignures et de leur lassitude ! Il n’y a pas de miracle, mais le miracle est là : dans l’endormissement de ces mains paisibles, où les existences s’écoulent, les images s’engouffrent et les mots se tiennent embusqués, terrés, tenus en terre par l’élan vif-argent du sommeil.
Jean-Louis Roux
Journaliste, écrivain