A propos des photographies d'Aurore de Sousa
Je collabore avec Aurore de Sousa à la réalisation de sa dernière série photographique. Devant un mur clair, je pose sans artifice. L'artiste, elle, déclenche la prise de vue lorsqu'elle voit, sur mon visage, un changement, signe d'une modification intérieure. Guettant ainsi dans les yeux la mimique, nous nous apercevons alors de l'instantanéité de la correspondance entre intérieur et extérieur : au moment même où le photographié, moi-même, laissant varier sa pensée, simule alors d'autres états émotionnels, le photographe voit quelque chose d'inqualifiable et dirais-je même de non localisable qui traverse le visage, cette variation précisément. La série de visages identiques qui résulte de cette formidable prise de vue donne à voir le cœur du cœur de cette vision d'une identité qui, loin d'être figée dans une statique essentialité, se déploie au contraire dans l'infinité de ses variations. En ce sens, l'artiste au travail révèle son sujet parce qu'elle ne réduit pas, parce qu'elle ne le fige pas, mais bien parce qu'elle rend ici visible, ce à quoi nous sommes habituellement aveugles. De là naît une étrange série de portraits de moi, des images plus intimes que n'auraient jamais pu l'être des autoportraits, des images ou sont fixées ce flot indicible rendu visible par la présence de l'autre, son œil, comme si l'intériorité n'était rendue visible que par l'expérience de l'altérité. Un an s'est écoulé entre les deux séries de portraits ne faisant qu'amplifier le flot des variations, rendant la finitude du visage à l'infinité de ses possibilités. Une autre lumière, un autre regard, autant de sentiers nouveaux se dévoilent au fil des images. A mon visage, jusqu'alors inconnu de moi, est rendu la liberté d'être et de devenir et d'avoir été. Je m'en remets à Aurore.
Marielle Chauvin-Tagbe